Mélioïdose : une maladie tropicale ignorée
Une méthodologie originale a permis de réévaluer la distribution d’une maladie grave, la mélioïdose.
Maladie infectieuse tropicale endémique en Asie du Sud-Est et dans le Territoire du Nord australien, la mélioïdose s’est manifestée aux Antilles, indiquant que la bactérie à l’origine de cette maladie grave s’étend en dehors des zones endémiques. Elle se contracte par inoculation, inhalation ou ingestion de la bactérie Burkholderia pseudomallei présente dans des sols ou des eaux contaminés. Grave et sous-diagnostiquée, ses manifestations sont polymorphes et peuvent toucher différents organes, avant de dégrader l'état de santé général des patients. Cependant, elle affecte principalement les poumons, ce qui lui vaut d’être souvent confondue avec d’autres maladies comme la tuberculose. Si elle est diagnostiquée suffisamment tôt, l’infection se soigne avec un traitement antibiotique de six mois, lourd mais efficace. En revanche, si elle n’est pas identifiée à temps, elle peut avoir des conséquences désastreuses, allant jusqu’au décès des patients. Et c’est là que le bât blesse : ses taux de létalité varient entre 20 % et 80 % selon les régions. En cause, des problèmes d’accès aux soins et la faiblesse des diagnostics dans les zones où elle n’est pas endémique. Pourtant, sa présence a été confirmée dans d’autres régions du monde, notamment aux Antilles, où des cas de mélioïdose ont été signalés sans que les personnes contaminées aient jamais voyagé.
Détecter Burkholderia pseudomallei dans les sols
Face à ces cas avérés mais inexpliqués, une équipe de scientifiques de l’IRD, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) s’est mobilisée pour rechercher la présence de Burkholderia pseudomallei en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane française.
« Nous sommes parties de zéro, avec pour seule information les cas de mélioïdose diagnostiqués et seul soutient l’Institut Pasteur de la Guadeloupe. Nous avons alors noué des partenariats sur place grâce auxquels nous avons pu mettre en place une méthodologie innovante et efficace », raconte Mégane Gasqué, doctorante en microbiologie au sein de l’Anses et à la tête du projet.
En collaboration avec un vétérinaire, des éleveurs et des laboratoires locaux, la chercheuse a d’abord prélevé et analysé des échantillons sanguins d’animaux de ferme dans différentes zones de ces territoires. « L’objectif était d’utiliser les animaux comme sentinelles, en partant du principe que là où l’on trouverait des bêtes positives à la mélioïdose, on détecterait également la bactérie dans les sols », explique Emma Rochelle-Newall, écologue à l’IRD, directrice de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (iEES) et co-encadrante de Mégane Gasqué (Mégane Gasqué a été co-encadrée par Karine Laroucau (ANSES), Emma Rochelle-Newall (IRD) et Vanina Guernier (IRD)).
La Guadeloupe, une zone d’émergence
Une stratégie payante, qui a permis aux scientifiques de mieux cibler les zones propices à la recherche dans les sols, comme sur l'archipel des Saintes en Guadeloupe.
« Les Saintes sont de toutes petites îles avec très peu d’habitants, dont les familles, présentes depuis plusieurs siècles, élèvent des cabris par tradition. Nous avons bénéficié de leur confiance pour effectuer des prélèvements sur place », relate Gil Manuel, vétérinaire en Guadeloupe.
Grâce à l’aide d'éleveurs saintois, l’équipe de recherche est parvenue à isoler la bactérie dans les sols, confirmant scientifiquement pour la première fois sa présence sur un territoire non endémique. « La Guadeloupe est désormais considérée comme une zone d’émergence », précise Emma Rochelle-Newall.
Une approche innovante pour mieux comprendre la maladie
La sérologie animale a également permis de réaliser des études épidémiologiques pour mieux comprendre la situation sur les territoires et le fonctionnement de la bactérie. « Pour la première fois, nous avons pu effectuer un suivi sérologique à intervalles réguliers et constater que certains animaux restaient séronégatifs à chaque prélèvement, bien qu’ils aient été exposés autant que leurs congénères séropositifs », note Mégane Gasqué. Une méthodologie innovante, qui s’inscrit dans une approche « Une seule santé » et ouvre de nouvelles perspectives de recherche dans les zones endémiques. Jusqu’alors, les scientifiques n’utilisaient pas la sérologie, supposant que toutes les analyses seraient positives.
Intensifier la recherche pour alerter les autorités
Cette approche holistique, méthode qui considère un système ou un problème dans sa globalité, est d’autant plus cruciale que la mélioïdose pourrait devenir un grave problème de santé mondiale si elle n’est pas rapidement mieux étudiée. Avec le dérèglement climatique et l’érosion des sols, les scientifiques redoutent en effet que la bactérie, habituellement confinée en profondeur, remonte à la surface et s’étende à de nouvelles régions, exposant davantage d’humains et d’animaux à l’infection.
« Il est impossible d’éradiquer la bactérie car nous ne pouvons traiter les sols sans abîmer les écosystèmes, ce qui entraînerait de nouveaux problèmes. La seule solution pour lutter contre la mélioïdose est donc d’identifier précisément les zones à risque, d’y établir des diagnostics fiables et rapides, et de soigner les patients », alerte Emma Rochelle-Newall.
« Et pour cela, il est essentiel d’alerter les autorités publiques et sanitaires de ce danger, ajoute Mégane Gasqué. Ce que nous avons fait à la suite de cette étude et continuerons de faire grâce aux suivantes, notamment celle que nous sommes en train de déployer en Guyane. » Le tout, avec l’espoir que la mélioïdose obtienne bientôt le statut de maladie tropicale négligée par l’OMS.