Influenza aviaire : les risques sanitaires actuels pour les animaux et les humains
L'influenza aviaire est une infection virale hautement contagieuse des oiseaux sauvages et domestiques. La France, comme de nombreux autres pays dans le monde, a connu depuis 2015 plusieurs crises majeures d’influenza aviaire, conduisant notamment à l’abattage de millions de volailles pour limiter la propagation du virus. Les mutations du virus ont également permis des transmissions à différentes espèces de mammifères mais aussi à l'humain, comme constaté récemment aux États-Unis. Quelles sont les mesures de prévention et de surveillance pour limiter les risques et endiguer la circulation du virus ? Nos spécialistes font le point.
L’influenza aviaire, de quoi parle-t-on ?
L’influenza aviaire est une maladie animale très contagieuse causée par des virus influenza de type A, qui peut toucher de nombreuses espèces d’oiseaux, sauvages ou domestiques et peut, pour certaines souches virales, se transmettre aux mammifères terrestres et marins et à l’être humain.
On distingue deux catégories de virus selon leurs caractéristiques de virulence pour les oiseaux :
- les virus faiblement pathogènes (IAFP),
- les virus hautement pathogènes (IAHP), ces derniers appartenant majoritairement aux sous-types H5 ou H7
Sous sa forme hautement pathogène, la maladie se propage très rapidement chez les oiseaux et peut entraîner des conséquences importantes tant dans les élevages que pour la faune sauvage. Elle peut provoquer une mortalité très élevée (> 90%) chez certaines espèces.
Comment se manifeste l’influenza aviaire chez les oiseaux ?
Béatrice Grasland : Selon les modalités d’exposition et la virulence de la souche virale, la période d'incubation de la maladie peut varier de 1 à 7 jours au niveau individuel selon l’espèce et s’étendre jusqu’à 14 jours au niveau d’un troupeau de volailles. Les symptômes chez les oiseaux sont divers : troubles nerveux (paralysie, convulsions, perte d’équilibre), troubles respiratoires, troubles digestifs, œdème de la tête, baisse du nombre d’œufs pondus et mortalité, qui dans les cas les plus graves peut apparaître quasiment sans symptômes préalables.
La maladie peut aussi être asymptomatique et seulement détectable par des analyses en laboratoire ou se manifester par des formes modérées : diminution de l’appétit, baisse de ponte, signes respiratoires plus ou moins discrets, etc.
Comment se transmet l’influenza aviaire parmi les animaux ?
Eric Cardinale : Les volailles d’élevage peuvent être contaminées par les oiseaux sauvages infectés ou, lors d’épizootie, par d’autres oiseaux domestiques, qu’ils soient d’élevage ou d'agrément (basse-cours, oiseaux d’ornements, appelants utilisés pour la chasse au gibier d’eau) ou par le contact des animaux avec un environnement contaminé. La transmission entre oiseaux peut être directe, par des contacts rapprochés entre oiseaux - sécrétions respiratoires, matières fécales - ou indirecte, par l’exposition à des matières ou supports contaminées : nourriture, eau, matériel, plumes, poussières, ou vêtements. Le virus pénètre dans l’organisme des volailles par la voie respiratoire ou par la voie digestive.
Peut-on parler de saisonnalité d’épisodes d’influenza aviaire ?
Nicolas Eterradossi : nous observons des pics hivernaux récurrents d’influenza aviaire chez les oiseaux, liés à l’afflux d’oiseaux migrateurs, mais aussi des cas plus sporadiques au printemps ou en été, liés à la persistance du virus dans l’avifaune locale non migratrice et dans l’environnement des élevages.
Le virus influenza aviaire actuel est-il plus préoccupant que celui qui a circulé lors des épisodes précédents ?
Nicolas Eterradossi : Depuis 2003, une souche hautement pathogène de virus influenza A (H5N1) s’est propagée mondialement. À partir de cette souche, de nombreux virus ont évolué, par mutations et par un phénomène de brassage génétique dit « réassortiment ». Les virus H5N1 qui circulent en France actuellement appartiennent à une des lignées génétiques issues de ces virus (clade 2.3.4.4b). Celle-ci a été responsable, à partir de 2016, de plusieurs épizooties de grande ampleur dans le monde et en France, en particulier au sein des élevages de palmipèdes du Sud-Ouest, mais aussi chez les oiseaux sauvages.
Les virus H5 de clade 2.3.4.4b sont préoccupants de par leur large distribution mondiale chez les oiseaux domestiques ou sauvages, avec un impact écologique et économique important, y compris depuis 2023 dans des zones auparavant non touchées (Amérique du Sud, Antarctique).
Par ailleurs, ces virus ont une forte capacité d’évolution génétique. Ils ont la faculté de franchir occasionnellement la « barrière d’espèce » pour infecter des mammifères (mammifères domestiques ou sauvages exposés aux oiseaux sauvages infectés, être humain exposé aux volailles ou aux animaux sauvages infectés). Ces infections chez les mammifères peuvent être graves.
Le virus peut de surcroît se transmettre dans certaines conditions entre mammifères, comme ce qui a été observé dans des élevages laitiers aux États-Unis ou dans des colonies de mammifères marins. Ceci fait craindre, en cas de circulation non maîtrisée, l’émergence possible d’une souche de virus H5 transmissible entre êtres humains. Maîtriser la circulation de ces virus contribue donc à la fois à préserver la santé animale et la santé publique.
Comment expliquer, ces dernières années, la persistance de crises majeures d’influenza aviaire hautement pathogène en France et dans d’autres pays du monde ?
Nicolas Eterradossi : La large distribution mondiale du virus explique que chaque année les oiseaux migrateurs échangent des virus influenza lorsqu’ils se regroupent dans les régions arctiques pour se reproduire ou juste avant leur migration. Ces virus peuvent ensuite être transportés vers de nouveaux territoires lors de la migration. Par ailleurs, les espèces d’oiseaux hôtes des virus H5 de clade 2.3.4.4b circulant actuellement incluent certaines espèces non migratrices, ce qui explique la persistance du virus dans certaines zones tout au long de l’année. La France est confrontée depuis quelques années aux deux phénomènes.
Y-a-t-il un risque de transmission du virus aux bovins en France, comme ce qui est observé aux États-Unis ? Ce phénomène représente-t-il un risque pour la santé des bovins ou celle de l’être humain ?
Eric Cardinale : Les risques de transmission du virus aux bovins existent en France car il a été démontré expérimentalement que les virus circulants en Europe pouvaient infecter les ruminants. Cependant, aucun cas n’a été rapporté à ce jour pour le moment. Nous surveillons le risque possible d’introduction du virus qui circule actuellement aux États-Unis, et qui pourrait être introduit en Europe lors des mouvements migratoires des oiseaux sauvages au printemps et à l’automne ou à l’occasion d’une introduction du virus par un humain ou un animal contaminé dans un troupeau.
Comment endiguer la circulation de l’influenza aviaire dans les élevages ?
Nicolas Eterradossi : La lutte contre la maladie continue de passer en premier lieu par les mesures de biosécurité : mise à l’abri des oiseaux pendant les périodes à risque et renforcement des mesures d’hygiène à l’entrée des élevages (nettoyage du matériel, changement complet de tenue de travail, lavage des mains, etc.). Ces mesures sont efficaces à la fois pour éviter la contamination à partir des oiseaux sauvages, et la transmission entre élevages. Nous surveillons les cas d’influenza aviaire dans les élevages, avec pour objectif la détection précoce et l’élimination aussi rapide que possible des volailles infectées. De même, nous surveillons avec nos partenaires les virus qui sont associé à une mortalité dans la faune sauvage. À ces mesures de biosécurité et d’élimination rapide des foyers est venue s’ajouter, depuis octobre 2023, l’obligation de vacciner les élevages de canards de production de plus de 250 sujets contre l’influenza aviaire hautement pathogène de type H5.
La vaccination des volailles d’élevage peut-elle être une solution pour prévenir de nouvelles crises d’influenza aviaire à terme ?
Nicolas Eterradossi : Plusieurs épisodes de grande ampleur, qui ont également touché les autres pays européens, ont été gérés en France depuis 2015 en associant biosécurité, éradication et dépeuplement préventif à grande échelle, notamment pendant l’hiver 2021-2022, puis, à un niveau moindre, lors de l’hiver 2022-2023.
Une évolution de la réglementation européenne, ainsi que des travaux de recherche préparatoires de l’Anses sur l’efficacité des vaccins chez le canard, ont permis aux autorités sanitaires françaises, avec le soutien de la Commission Européenne, d’autoriser la vaccination des élevages de canard. Une politique associant la biosécurité, la vaccination et la surveillance renforcée des élevages, de façon à continuer à éliminer dès que possible les éventuels troupeaux infectés, même vaccinés, a été adoptée avec les organisations professionnelles.
Cette politique a été l’un des facteurs déterminants expliquant la forte réduction du nombre de cas d’influenza aviaire observés en France en élevage depuis l’hiver 2023-2024. Il est cependant difficile de quantifier la contribution de chaque moyen de lutte. La vaccination a très probablement contribué à la diminution du nombre de cas observée mais ne remplace pas le respect des autres mesures de prévention et de lutte. De plus, d’autres facteurs, notamment la faible pression infectieuse dans l'avifaune sauvage et les caractéristiques des virus circulants pendant l’hiver 2023-2024, peuvent également avoir contribué à l'amélioration de la situation.
La vaccination des canards représente-t-elle un risque pour la santé des consommateurs ?
Franck Fourès : La consommation de viande ou de produits issus d’animaux vaccinés ne présente pas de danger pour l’être humain. L’innocuité des vaccins pour le consommateur a été vérifiée avant leur autorisation de mise sur le marché ou leur autorisation temporaire d’utilisation (ATU).
Comment éviter la transmission du virus des oiseaux aux humains ?
Cette transmission peut être évitée en utilisant des équipements de protection individuelle (EPI) adapté lors de la manipulation ou du contact avec des oiseaux morts domestiques ou sauvages. Ces EPI doivent a minima protéger leur utilisateur du contact direct du virus avec les muqueuses respiratoires (masques respiratoires) et oculaires (lunettes de sécurité), ou d’une transmission indirecte à ces muqueuses par les mains (gants).
Quel est le risque que le virus de l’influenza aviaire circulant actuellement s’adapte à l’être humain et provoque une pandémie ?
Eric Cardinale : La capacité des virus influenza à échanger du matériel génétique est considérable, et les capacités d’adaptation du virus sont également conséquentes. Il a été observé ponctuellement des mutations qui permettaient à ces virus de s’installer plus facilement chez les mammifères, et notamment chez l’être humain. Pour autant, les virus qui ont infecté ces derniers mois plusieurs dizaines de personnes aux États-Unis n’ont à ce jour pas accumulé suffisamment de mutations pour permettre une transmission entre humains. Il est important de maintenir une surveillance des virus circulants chez les espèces animales, pour identifier toute évolution du virus dans le sens d’une meilleure adaptation aux mammifères et nous permettre d’anticiper.
Quels sont les moyens de surveillance de la propagation de la maladie / épidémie ?
Eric Cardinale : La surveillance reste en effet une clé essentielle dans notre lutte contre ces virus influenza. Actuellement, nous surveillons non seulement les volailles domestiques et les oiseaux sauvages, mais aussi les mammifères, y compris les mammifères marins que ce soit en France hexagonale ou dans les territoires d’Outre-mer et les terres australes et antarctiques françaises. Nous travaillons également de concert avec nos collègues de la santé humaine pour détecter tout virus qui aurait potentiellement évolué.
Est-ce la fin des élevages en plein air ? Qu’en est-il du bien-être des animaux ?
La circulation active de ces virus influenza aviaire dans l’avifaune sauvage et chez les oiseaux domestiques ne signe pas la fin des élevages plein-air. Elle doit néanmoins inviter à la plus grande vigilance et à la mise à l’abri des animaux pendant les périodes les plus à risque que constituent les périodes de migration descendante (fin de l’automne et début de l’hiver) en adaptant les méthodes d’élevage pour protéger les animaux de ces contaminations (biosécurité renforcée, vaccination le cas échéant pour les espèces les plus sensibles) en particulier pendant ces périodes à risque élevé tout en maintenant des conditions d’élevage respectueuses du bien-être de ces animaux.
Cet article a été réalisé en interrogeant Béatrice Grasland, responsable du laboratoire national de référence (LNR) pour l’influenza aviaire (Laboratoire de Ploufragan-Plouzané-Niort, Anses) ; Éric Cardinale, directeur scientifique « Santé et bien-être des animaux », Anses ; Nicolas Eterradossi, directeur du Laboratoire de Ploufragan-Plouzané-Niort, Anses ; et Franck Fourès, directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire, Anses.
Pour aller plus loin :
- Dossier sur l’Influenza aviaire
- Les zoonoses, quand les animaux contaminent les humains
- La grippe du porc, une problématique pour les élevages et la santé humaine
Podcast Zootopique “Grippe, une maladie du passé qui a de l’avenir”